Sari Soininen : Réenchanter le réel
- Par la Rédaction
- il y a 6 jours
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Mise en lumière
« The visible world is a veil, trembling with the breath of something buried. »Cette phrase poétique, glissée dans le manifeste visuel de Sari Soininen, éclaire d’emblée la nature de son travail : une tentative de révéler ce qui tremble sous la surface, ce que la lumière ne dit pas, ce que la réalité tait.

Photographe finlandaise, formée à l’UWE de Bristol où elle obtient son Master en 2021, Soininen s’impose très tôt comme une voix singulière dans le paysage de la photographie contemporaine. Son esthétique, immédiatement reconnaissable, entrelace couleur, lumière et altération du réel, jusqu’à faire de l’image un seuil : entre le tangible et l’imaginaire, le visible et l’invisible.
Une photographie hallucinée
Dans ses séries, chaque image semble provenir d’un rêve ancien. Couleurs saturées, effets optiques, surimpressions chromatiques : la technique se fait langage intérieur. Mais il ne s’agit pas d’un simple jeu plastique. Ce qui traverse l’œuvre de Soininen, c’est l’expérience mystique, vécue de manière intime, traduite en visions.
Son premier ouvrage, Transcendent Country of the Mind (The Eriskay Connection, 2022), posait déjà les fondements d’un regard hallucinatoire, inspiré par une plongée personnelle dans des états altérés de conscience. À travers ses photographies, Soininen propose une cartographie mentale de la perception, où l’appareil devient le prolongement d’une mémoire sensorielle.
“Shallow Waters, Misty Waves” : poésie du banal et sacralité du détail

Sa dernière série, Shallow Waters, Misty Waves, prolonge cette quête d’un réel transformé. Inspirée des croyances folkloriques nordiques, de la religion et de la philosophie, l’œuvre réactive la dimension spirituelle du paysage.Ici, la nature n’est plus un décor mais un espace chargé d’ondes, d’ombres, de murmures. Les longues poses, les gels colorés, les flashs et les décalages temporels produisent des images à la fois étranges, sensuelles et méditatives, qui interrogent la façon dont nous percevons le monde dans une époque saturée de vitesse et de distraction.
En refusant la lisibilité immédiate, Soininen nous rappelle que la photographie peut encore être une chambre noire de l’imaginaire, un lieu de lenteur et d’intuition. Un territoire où l’émotion n’est pas illustrée mais invoquée.
Un apport nécessaire à la narration visuelle contemporaine

L’œuvre de Sari Soininen résonne avec les grands débats actuels sur la subjectivité en photographie, le rôle de l’intuition, et l’effacement progressif du regard sensible dans un monde dominé par l’IA.Ses images, bien que parfois proches d’un rendu généré artificiellement, sont entièrement réalisées à la prise de vue. Elles prouvent que l’on peut encore “voir autrement”, sans trahir le réel.

C’est cette tension entre le factuel et l’intime, le naturel et le surnaturel, qui rend sa contribution si précieuse. Au sein du Club des Directeurs Artistiques ou d’une réflexion éditoriale plus large, elle incarne une pensée visuelle capable d’ouvrir de nouveaux récits — moins linéaires, plus intuitifs, plus vibrants.
Voir, non pas pour regarder, mais pour se souvenir

À travers ses œuvres, Soininen interroge notre rapport aux choses oubliées : le souvenir d’une émotion ancienne, la sensation d’un monde plus lent, plus secret, que nous avons déserté.Son travail ne nous propose pas une échappée onirique : il nous invite à revenir. Revenir à la contemplation, au silence, à l’étrangeté familière de ce qui nous entoure.
Parce qu’en définitive, voir — comme elle le dit si bien — n’est pas simplement regarder, mais se souvenir.